SAPERLOTTE

SAPERLOTTE

La Fille Roide

Faut pas trop qu' ça t'offense,

Pourtant il me souvient dans l'enfance

D'une vision qui me fit éffroi :

Une femme, gisant morte de froid.

 

Demain, vu que bientôt c'est réveillon,

Personne n'y ferait sinon moi allusion ;

Car après tout, c'est par de la gaité au coeur,

Qu'on oublie nos chagrins et même nos rancoeurs.

 

Et toi aussi, peut-être qui me lis,

Tu penses et te dis, que parfois j'oublie

Qu'elle était là au coin d' ma rue,

Par-terre assise, fille perdue.

 

Vivre comm' toi elle aurait bien voulu.

Mais faut pour ça bien partir, c'est couru.

Or c'est un malin destin qui l'a foutu dehors.

Et la voici sur le pavé, fauchée à mort.

 

À l'heure où chacun s'apprète à croustiller

Que ça fleur bon l' marron grillé

Que dans rues et les maisons, tout reluit

Ses yeux bleus ne voyait plus que de la nuit.

 

Cloches sonnez, car bientôt c'est ripaille !

Fêtez celui qui nait et renait sur la paille !

Il a dû quand même avoir moins faim

Qu'icelle gisant roide, le corps défunt.

 

Oh! excusez, et puis ne soyez trop fachés.

La fille d'amour avait beaucoup péché.

À vendre sa jeunesse sans se soucier de l'âge

À chacun ses misères, ses rides qui outragent.

 

Soit dit aussi que belle en effrontée,

Elle aurait pu gagner son pain sans affronter

Le puritain, la puritaine qui du regard,

Promettaint le bûcher plutôt que les égards !

 

Bien sûr, plaquer l' turbin l'avait voulu,

Mais n'en sut rompre jamais le lien dévolu.

Et puis, les frangins, les caïds, les affranchis,

C'est pas du genre, à regretter le pas franchi.

 

Alors elle a troqué jusqu'à ses rêves de gosse,

Contre des plaies, des coups d'couteau, des bosses.

Les hommes il est vrai sont des rusteauds :

C'est pas des rigolos, même pour les gigolos.

 

Mais quand on a trinqué on s'habitue à tout.

Et même aux boniments, car, que voulez-vous,

Faut pas jouer des coudes, quand le client boude

Quitte à dégringoler des nues, et sans baroud.

 

À l'heure où sévissent les belles gourgandines :

C'est en faisant fi d'altruisme que l'on dîne !

Et c'est tant comme un soleil tombé en morceaux,

Que la jeunesse trophée, choiera dans le ruisseau.

 

Faut être riche pour s'acheter une conduite.

Bonne ou mauvaise, la fortune n'est fortuite

De caractère, ni de ce qui arrive par hasard.

Tout pêcheur n'est rien mieux que balbuzard.

 

Bref, quoi qu'on fasse ou qu'on se dise,

la charité, l'amour, tout ça c'est des bêtises.

Bienveillance et bonté, en toute mansuétude,

Ne sauraient ronger, ce qui s'empreint de turpitude.

 

De nos jours, quand bien nous irions à la chapelle,

Du fond d'un puit nous ne verrions que margelle.

Et tourne la planète alternant jour et nuit asphyxiés !

Les nôtres s'expriment en apnée, damnés par les années.

 

RHD

 



19/12/2023
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